La nouvelle procédure d’expulsion domiciliaire à Bruxelles (SEPTEMBRE 2023)
En date du 22/06/2023, le Parlement Bruxellois a approuvé un projet d’ordonnance qui modifie de façon assez importante la procédure d’expulsion domiciliaire actuellement en vigueur dans la Région. Cette ordonnance a été publiée le 21/08/2023 et est entrée en vigueur au 1er septembre 2023 et intègre ses nouvelles dispositions dans le Code Bruxellois du Logement ou CBL.
Cette nouvelle réforme a été présentée aux médiateurs de dettes lors de la Conférence-Débat du 21/09/2023, dont les slides sont disponibles ICI
Penchons-nous sur les raisons qui ont poussé le politique à envisager une telle réforme ainsi que sur les différents changements apportés à la procédure d’expulsion :
La trêve hivernale :
Une des mesures-phare de cette ordonnance est l’instauration d’une interdiction de procéder à une expulsion pendant la période de 4,5 mois allant du 1er novembre au 15 mars inclus. (art 233duodecies du CLB).
Ce « moratoire hivernal » existait déjà en Région bruxelloise mais uniquement pour les bailleurs sociaux et il ne durait que 3 mois de décembre à février. Cette trêve est désormais allongée et étendue aussi aux bailleurs privés. A noter que la Wallonie impose également un moratoire de 4,5 mois mais uniquement pour ses bailleurs sociaux tandis que la Flandres n’en prévoit aucun.
Il s’agissait de la 5ème tentative législative depuis le début des années 2000 pour faire passer une telle mesure.
L’interdiction temporaire d’expulser pendant l’hiver est toutefois soumise à plusieurs exceptions et est contrebalancée dans le chef du bailleur par la possibilité de faire appel au Fonds de Solidarité pour réclamer une indemnisation de sa perte de loyer pendant cette période.
Commençons par les exceptions, qui sont d’interprétation restrictive. Il est possible d’expulser pendant l’hiver :
- Si le locataire a trouvé une solution de relogement
- En cas de danger de sécurité ou d’insalubrité
- Si le comportement du locataire/occupant vis-à-vis du personnel ou d’autres occupants est problématique, c’est-à-dire s’il met en danger autrui ou s’il cause des problèmes de sécurité.
- Un cas de force majeure qui force le propriétaire à devoir réaménager dans le bien.
Il appartient au tribunal de juger de l’opportunité de ces exceptions de sorte que si les conditions de ces exceptions se réalisent après qu’une décision d’expulsion a été rendue, le bailleur devra retourner devant le juge pour demander l’autorisation de déroger au moratoire. (art 233duodecies §1 du CBL)
Concernant le Fond de Solidarité, son intervention est soumise à plusieurs conditions.
- Il n’intervient que pour les bailleurs privés et publics non-subsidiés. Tous les bailleurs des CPAS, des AIS ou disposant d’un subside régional en sont exclus.
- Le jugement autorisant l’expulsion doit être intervenu après le 15 août qui précède le début de la période hivernale. Sinon on estime que le bailleur a disposé de suffisamment de temps pour procéder à l’expulsion (plus de 2,5mois)
- Les demandes d’indemnisations doivent être introduites avant le 1er septembre qui suit la fin de la trêve hivernale
- L’indemnité se limite aux indemnités d’occupation échues pendant le moratoire. Celles-ci se comptent en jours et leur total mensuel ne peut dépasser le montant du loyer d’origine.
- Le paiement intervient dans les 4 mois de la demande d’intervention
Ce fonds, appelé Fonds Budgétaire Régional de Solidarité, sera tenu par Bruxelles Logement, l’administration du logement de la Région de Bruxelles-Capitale. Il est financé par les amendes et autres frais administratifs perçus dans le cadre des procédures d’insalubrités (art 8 du CBL) et existait déjà pour couvrir la différence de loyers des personnes expulsées pour raison d’insalubrité. Il voit donc ses capacités étendues.
Cette mesure vise à réaliser le 1er objectif de cette réforme, à savoir empêcher qu’une famille ne se retrouve à la rue pendant l’hiver, ce qu’elle atteindra certainement. Cependant elle risque d’avoir un impact très important pour le propriétaire au niveau du délai de fixation de la date d’expulsion.
Dans la pratique actuelle, les délais pour expulser sont déjà de plusieurs mois dans certaines communes. En effet, pour pouvoir organiser une expulsion, l’huissier doit fixer une date avec plusieurs intervenants (déménageurs, serrurier, commune, …) et parmi ceux-ci, c’est généralement le personnel de la commune, dont le rôle est d’emmener les biens expulsés dans un dépôt communal où ils seront conservés jusqu’à ce que la personne expulsée vienne les récupérer (contre paiement d‘un frais d’entreposage), qui est le moins flexible. Dans certaines communes comme Jette, Uccle ou Anderlecht, leur agenda est déjà complet pour plus de 3 mois. Il sera donc difficile pour ces services d’assumer en 7,5 mois ce qu’ils pouvaient faire en 12, sans accumuler un retard encore plus important.
Pour contrebalancer cela, l’ordonnance s’est fixé un 2ème objectif à savoir la diminution du nombre d’expulsions.
La diminution du nombre d’expulsions
Pour diminuer le nombre d’expulsions, l’ordonnance veut renforcer l’intervention préventive des CPAS dans la relation Locataire-Bailleur afin d’éviter une détérioration qui pourrait mener à une expulsion. Dans cette optique, la réforme veille à augmenter ses moyens aussi bien au niveau humain que technique ou encore financier.
Voici les différentes modifications, apportées par l’ordonnance à la procédure d’expulsion :
- Tous les articles de loi relatifs aux expulsions domiciliaires sont rapatriés et rassemblés dans le Code Bruxellois du Logement (art 233bis et suivants). Cette première modification est peut-être purement formelle, mais elle aidera les praticiens à clarifier et unifier la matière.
- Ce Code oblige désormais le propriétaire à envoyer au locataire une mise en demeure au moins un mois avant la date d’introduction de l’affaire en justice. Une obligation de mise en demeure préalable existait déjà avant mais n’était pas autant formalisée. (art 233quater du CBL)
- Dans le but de privilégier l’usage de la requête comme mode introductif d’instance, il est prévu que toute personne qui utilise la citation alors que la requête était possible devra en assumer le coût, même s’il obtient gain de cause. (art 233quinquies §1 du CBL)
- De nouvelles mentions doivent être indiquées dans l’acte introductif d’instance telles le nr de téléphone ou l’adresse mail du locataire si le requérant en a connaissance. Le but est que le CPAS, qui recevra une copie de ladite requête, ait plus facile à entrer en contact avec la personne menacée d’expulsion pour éventuellement lui venir en aide. Une copie de la mise en demeure devra également être jointe. (art 233quinquies §2 du CBL)
- Le locataire ne peut plus s’opposer à la transmission du dossier au CPAS alors qu’avant, il disposait d’un délai de 5 jours pour s’y opposer. La disparition de ce délai va faciliter le travail du greffe et augmenter le délai d’intervention du CPAS qui sera prévenu plus tôt. (art 233septies du CBL)
- Les CPAS qui seront prévenus dans le cadre de cette ordonnance auront désormais l’autorisation de prendre plus d’initiatives envers le locataire, alors qu’avant, ils étaient encore liés par la règle de la demande qui voulait qu’ils devaient recevoir une demande de l’usager pour pouvoir agir. (art 233septies §5 du CBL)
- Les boîtes aux lettres communes sont désormais interdites et les propriétaires d’immeubles multiples devront désormais installer une boite aux lettres par logement [2] .
- Le délai de comparution (entre la convocation et l’audience) pour une demande d’expulsion passe à 40 jours après l’envoi de la requête ou la signification de la citation. (art 233sixies du CBL). Avant il n’était que de 8 jours et ne laissait pas au CPAS de réelle possibilité d’agir correctement.
- Lorsque l’expulsion est demandée par voies de conclusions (c’est-à-dire en cours d’audience alors qu’elle ne figurait pas dans l’acte introductif d’instance), non seulement le délai de 40 jours s’appliquera également avant la prochaine audience (art 233novies du CBL), mais le CPAS sera également prévenu par le Greffe (art 233septies §3 du CBL), ce qui n’était pas le cas avant.
- Avant d’autoriser une expulsion, le juge devra tenter de concilier les parties (art 233octies du CBL) puis procéder à un examen de proportionnalité c’est-à-dire qu’il devra regarder si l’atteinte aux droits de l’occupant expulsé n’est pas disproportionnée par rapport à sa faute. (art 233ter du CLB) Le juge conserve un grand pouvoir d’appréciation à ce niveau mais dans l’exposé des motifs, il a été précisé qu’un arriéré trop faible, par exemple moins de 3 mois d’arriéré de loyer ne pouvait pas à lui seul [3] mener à une expulsion
- Un délai d’un mois devra être respecté entre la signification du jugement ordonnant l’expulsion et l’expulsion même si le jugement ne le mentionne pas expressément (art 233undecies §1 du CBL). Comme avant, le juge pourra moduler ce délai en cas d’accord des parties, d’expulsion pro forma, d’insalubrité, de relogement ou encore en cas de circonstances graves.
- Les indemnités d’occupation, c’est-à-dire la somme que doit payer l’occupant qui occupe le bien après que le juge a prononcé la fin du bail, devront désormais impérativement être fixées en jour, et le total mensuel ne pourra pas dépasser le montant du loyer tel que fixé dans le bail d’origine. (art 233undecies §1 3°, al. 2 du CBL).
- Tout jugement autorisant l’expulsion sera transmis au CPAS par le greffe en même temps que la notification de la décision aux parties. (art 233decies §1 du CBL).
- L’huissier qui signifie un jugement contenant un ordre de déguerpir doit également en avertir le CPAS. (art 233undecies §1, al. 5 du CBL)
- L’avis d’expulsion, que l’huissier doit envoyer à l’occupant pour l’informer de la date réelle d’expulsion doit désormais être envoyé au moins 15 jours à l’avance, au lieu de 5 précédemment (art 233undecies §2 du CBL). Le courrier simple est explicitement autorisé pour éviter le cas où le débiteur n’irait plus chercher ses recommandés. Cet avis doit désormais mentionner le sort des biens enlevés lors de l’expulsion, à savoir qu’ils resteront à sa disposition dans un dépôt communal pendant un délai de 6 mois prolongeable, à condition de régler les frais d’entreposage
- Cet avis d’expulsion sera également transmis par l’huissier au CPAS (art 233undecies §2 al. 3 du CBL).
- Le locataire ou l’occupant peut encore faire annuler l’expulsion avant l’expiration de ce délai de 15 jours s’il prouve à l’huissier qu’il dispose d’une solution de relogement dans le mois de l’envoi de l’avis d’expulsion. Il devra disposer d’une preuve solide comme un contrat de bail ou un engagement d’un CPAS et l’expulsion pourra reprendre à l’expiration de ce délai d’un mois. (Même si dans la pratique, il va être excessivement compliqué pour les intervenants de reporter l’expulsion de 15 jours.) (art 233undecies §3 du CBL).
A noter que pour inciter les CPAS à intervenir plus rapidement et plus spontanément dans les procédures d’expulsion, le gouvernement a prévu de leur accorder une subvention annuelle supplémentaire correspondant à 1/2 équivalent temps-plein par CPAS augmenté d’un certain budget réparti au prorata du nombre d’expulsions par commune. Ceux-ci pourront également, comme c’est déjà le cas, intervenir dans le paiement de l’arriéré de loyer des personnes dans le besoin et/ou fournir une garantie pour le paiement à venir.
Ci-dessous, voici un schéma de la procédure d’expulsion telle qu’elle est prévue dans la nouvelle ordonnance et présentée sur le site de Bruxelles-Logement :
Les CPAS bruxellois se voient donc confier un rôle primordial dans la réalisation du 2ème objectif de cette réforme, à savoir la diminution du nombre d’expulsions effectives à Bruxelles. Cependant, on peut se demander comment ceux-ci vont aborder leurs nouvelles prérogatives.
En effet, l’ancienne législation prévoyait déjà une communication vers le CPAS en cas de procédure d’expulsion (ancien art 1344octies à duodecies du Code Judiciaire), mais le traitement de cette information était très varié. Non seulement les CPAS ne disposaient que d’un délai restreint pour agir mais en plus ils ne pouvaient pas agir sans une demande officielle de la personne. Si certains CPAS comme Forest ont mis en place des services spécifiques qui consacrent beaucoup d’efforts pour rencontrer la personne menacée d’expulsion, quitte à se rendre sur place, d’autres CPAS se contentaient d’envoyer un courrier d’information. D’autres encore se rendaient aux audiences de Justice de Paix pour susciter cette demande.
Avec la réforme, les CPAS ont reçu non seulement le droit de prendre l’initiative mais aussi davantage de temps pour le faire. Un subside supplémentaire a également été accordé de sorte qu’ils sont ainsi appelés à modifier leur approche de la problématique des expulsions.
Dans la pratique actuelle, c’est généralement le Service Logement qui prend en charge les dossiers d’expulsion, et c’est à lui que revient la responsabilité d’impliquer éventuellement les autres services susceptibles d’être utiles comme le Service de Médiation de Dettes quand il y a plusieurs créanciers avec qui négocier, ou le Service Social général quand une intervention financière (par exemple une prise en charge de l’arriéré de loyer) est envisageable. Mais est-ce encore adapté ?
Si les CPAS veulent pouvoir profiter des opportunités laissées par l’ordonnance pour améliorer le sort des personnes menacées d’expulsion, c’est donc principalement les Services de Médiation de Dettes qui vont devoir mettre la main à la pâte. Or ces Services, dont le rôle est souvent méconnu et largement sous-estimé, (Certains CPAS comme Ganshoren, Jette et Koekelberg n’ont même plus de Service de Médiation de Dettes) sont souvent très chargés avec des listes d’attente parfois très longues.
Un des grands enjeux des CPAS va donc être d’adapter leur organisation interne afin de pouvoir prendre en charge les personnes menacées d’expulsion correctement et dans le bon timing. A défaut, tous ces délais supplémentaires risquent juste d’amplifier la détérioration de la relation Locataire-bailleur.
Monitoring des expulsions
A noter que l’ordonnance prévoit également un monitoring annuel des procédures d’expulsion, c’est-à-dire un relevé automatique de toute une série de données et une analyse de celles-ci.
A chaque fois que le greffe communiquera une décision autorisant une expulsion au CPAS, il devra également la transmettre au « tiers de confiance désigné à cet effet par le Ministre » [4]. (art 233decies §2 du CBL) Ce tiers de confiance sera chargé de relever une série de données statistiques tout en les anonymisant (par exemple l’adresse sera remplacée par une donnée de secteur) afin de transmettre celles-ci à l’Observatoire du logement. Les données issues du monitoring, devront ensuite être publiées sur le site internet du Bureau bruxellois de la planification.
Le but est de pouvoir en évaluer les impacts et le cas échéant, de pouvoir revoir l’une au l’autre mesure qui n’aurait pas l’effet escompté.
En conclusion,
Il s’agit là d’une réforme ambitieuse qui va apporter plusieurs changements importants dans la pratique des procédures d’expulsion domiciliaire en Région Bruxelles-Capitale. Elle a pour objectifs de réduire le nombre d’expulsions sur Bruxelles et d’empêcher que celles-ci aient lieu en hiver. Mais pour cela, il va falloir que les différents acteurs, et tout particulièrement les CPAS, s’adaptent au mieux à ces changements afin que se noue au plus vite dans les relations locataire-bailleur, un nouvel équilibre plus juste et plus sain.
Pour une information plus synthétique, consultez la brochure mise à votre disposition par Bruxelles-Logement. https://logement.brussels/publications/
[1] Repris dans l’exposés des motifs de l’ordonnance et dans les slides de la présentation du 28/03/2023 disponibles ICI
[2] Pour cela, l’AGRB du 17/03/2023 (publié le 21/08/2023 est venu modifier l’article 5 §9 de l’AGRB du 04/09/2003 déterminant les exigences élémentaires en matière de sécurité, de salubrité et d’équipement des logements. Cet article prévoit désormais que « Chaque logement doit disposer d’une sonnette individuelle, ainsi que d’une boite aux lettres pour chaque ménage. La boîte aux lettres doit être située dans un endroit librement accessible, et ce tous les jours ouvrables de six heures du matin à neuf heures du soir. »
[3] Ce terme est important parce que cela signifie qu’une personne qui trouble le voisinage, qui n’entretient pas correctement le bien ou qui a déjà déménagé pourrait se voir condamner à l’expulsion même avec un arriéré plus faible
[4] La désignation de ce « tiers de confiance » se fera sur base de l’article 203 de la loi du 30/07/18 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements des données à caractère personnel et est actuellement en cours